Fermeture annoncée de Napster

La musique en stéréo payante encore combien de temps ? Décision de la justice américaine, Napster risque de fermer ses cyberportes. Un appel en référé leur accorde un sursis, des serveurs clandestins se mettent en place, la communauté Linux et son GNUtella rigole doucement, bref tout le monde met son ciré, la tempête approche...

Le règne de la quantité

Bon, cela ne fera pas plaisir aux admirateurs de l’œuvre de René Guénon, plus souvent guénolâtres que guénoniens, mais nous voici face à la réalité des prédictions de cet auteur si souvent contesté et contestable, le règne de la quantité arrive, nous voulons tout, tout de suite et pour rien, musique comprise.

Nous avons tous au moins souri devant les karaokés depuis quelques années, et pourtant n’est-ce pas là qu’il faut chercher les origines de ce concept de musique gratuite qui effraie tant aujourd’hui ? Le karaoké n’a-t-il pas permis à madame, mademoiselle et monsieur tout le monde d’exprimer à la face de tous le "pourquoi-pas-moi " qui anime tant d’artistes en herbe ?

Puis, les moyens techniques aidant, il n’y eu qu’un pas bien vite franchi entre chanter sur la musique des autres et créer la sienne propre, hobby parmi tant d’autres sans que cela implique nécessairement volonté de faire carrière dans le showbiz. Il ne manquait plus qu’un moyen simple de faire connaître ses talents et son organe à d’autres que son voisin mitoyen de salle de bains, et c’est ici qu’apparut Internet en général et Napster (Macster pour Macintosh) en particulier.

L’idée est simple : partager le contenu d’un dossier avec l’ensemble de la communauté disposant d’un logiciel compatible. Le format de fichier échangeable est ici unique et s’appelle MP3. Bien sur, l’idée de départ consiste à n’échanger que les œuvres musicales dont on détient le droit d’auteur.

Tu parles, chacun a vite compris que l’intérêt de tous, hormis des producteurs, est d’échanger un maximum de titres de sa discothèque personnelle, ce qui a pour résultat que l’on trouve en moyenne 600 000 chansons, disponibles 24/24 avec un système de recherche très performant.

On comprend dès lors le vent de panique qui souffle chez les producteurs, le "copillage" prenant des proportions dévastatrices. Alors, que faire ?

No return

Première possibilité, celle en cours actuellement, faire fermer un tel service.

Trop tard. L’histoire de l’humanité dans son ensemble tend à montrer que l’on ne revient pas en arrière. Et puis qui accusera-t-on ? Les créateurs du programme ? Ceux-ci s’abritent derrière le fait que leur produit n’est pas conçu pour faire du piratage mais pour permettre aux utilisateurs d’échanger des fichiers dont ils sont propriétaires, intellectuellement parlant. Alors, condamner Napster ne servirait qu’à permettre à un concurrent d’occuper le terrain.

Poursuivre les utilisateurs ? Il faut d’abord les trouver, puis faire intervenir la législation en vigueur dans le pays dans lequel ils se trouvent. Tout cela d’ailleurs pour se retrouver le plus souvent face à des ados de moins de quinze ans et leur dire quoi ? Si tu recommences tu iras en prison ? Pourquoi pas une bonne fessée et puis au lit. Non, décidément ça ne colle pas. D’autant plus que bien des utilisateurs ne se contentent pas de placer la musique telle quelle, mais font des montages, des remix, chantent ou rappent leur propres textes sur les play-backs des tubes du moment, mettent à disposition de véritables collectors, perdus ou oubliés depuis longtemps. N’hésitons pas à le dire, il y a plus d’un trésor disponible au sein de cette communauté.

Tempête... dans un verre d’eau

Et puis, il y a d’autres arguments, car l’usage de ce service ne semble pas, contrairement à ce que voient les producteurs, tourné vers un volonté de piratage.

Depuis que les radios autrefois dites "libres" se sont lancées dans la course à l’audience, celles-ci n’hésitent plus a tronquer les chansons qu’elles diffusent, parfois en dépit de tout sens artistique, histoire de bien respecter l’horaire de la pub.

Alors, on peut être tenté de télécharger la chanson dont on aimerait connaître le troisième couplet, d’autant plus que la politique de signature des maisons de disques s’étant au fil du temps axée sur des chansons et non sur des artistes (d’où le célèbre "c’est super ce que tu fais, mais y-a-pas-Le-Single."), il est malheureusement devenu rare d’avoir tout un album à la hauteur dudit single ce qui rend les mauvaises surprises trop coûteuses.

On peut aussi avoir envie d’écouter différentes versions d’une même chanson. C’est amusant, instructif et parfois source de très bonnes surprises (comme cette version de Girls on film de Duran Duran par Bjork - bien mieux que l’original).

Il est encore possible de se faire une petite playlist thématique, par exemple pour trouver toutes les versions de la musique de Mission Impossible, l’original de Lalo Schiffrin était en 5/4, faut-il croire que les musiciens qui l’ont adapté pour le cinéma ne savent compter que jusqu’à 4 ?

Le propos de ces exemples consiste surtout à souligner aussi fortement que possible qu’une bonne part de l’utilisation de Napster et consorts ne vise qu’à écouter des morceaux de musique que l’on achèterait pas forcément, loin s’en faut. Cet argument ne semble pas encore avoir atteint les producteurs.

Le futur a de l’avenir

La question que nous souhaitons poser ici, vise un avenir qui peut paraître encore lointain, mais tout va parfois si vite. Napster pouvant être perçu comme une station de radio qui ne diffuserait que ce que vous avez envie d’entendre, au moment que vous souhaitez, sans pub et sans commentaires, la musique va-t-elle rester payante encore longtemps ?

C’est sans doute une forme de "oui et non" que nous pouvons avancer aujourd’hui comme début de réponse. Ou plutôt oui, mais pas aussi cher parait sans doute plus exact.

Les compositeurs de tout poil ont encore un nouveau moyen privilégié et efficace de diffuser leurs œuvres produites à la maison. Ils peuvent ainsi faire connaître certains extraits pour vendre en ligne l’album complet dont le prix couramment pratiqué sur le web varie entre $5 et $7.

Pour les majors, le problème est un peu plus compliqué. Celles-ci engagent en production des sommes importantes, dont le montant relatif n’a toutefois cessé de diminuer au fil des ans, les sommes ainsi économisées ayant été affectées à la promotion.

Notre point de vue est que la partie qui reste aujourd’hui à la production (c’est à dire enregistrement, mixage en stéréo, codage mp3 ou technologie à venir, pour le web) doit elle aussi être envisagée comme de la promotion. Le client pourra ainsi écouter tout un album (ou au moins 6 des titres qui le composent), gratuitement, en qualité audio réduite, depuis son ordinateur ou baladeur mp3 afin de décider s’il désire ou non acheter soit l’album en pleine qualité CD avec livret, paroles, crédits, etc. soit le DVD avec vidéo, audio en 24 bit/96 KHz, son DTS/Dolby Digital multicanal, sous-titres en 32 langues, reportage sur l’artiste, making-of de l’album, et on en passe.

Qui à goûté à ces plaisirs là ne revient pas en arrière et seules les majors ont les moyens d’en être les dealers exclusifs. Il est vain de lutter contre la diffusion anarchique de musique en mp3, il faut la rendre fade.

Amis producteurs, ne dépensez pas votre argent contre Napster, dépensez le pour faire mieux.